Vélo Vert : Mickaël, est-ce que tu étais auprès de Jean-Christophe ce week-end ?
Mickaël Bouget : Non. Je n’ai pas encore pu le voir. Je l’avais eu au téléphone la veille du chrono de Bergerac. Il fallait dédramatiser, oublier l’enjeu. Sur le papier, je lui ai répété qu’il était le meilleur dans cet exercice (NDLR : par rapport à Pinot et Valverde) et qu’il devait juste se concentrer sur ce qu’il sait faire. Jicé avait besoin de se rassurer. On a juste changé un peu le protocole d’échauffement...
V. V. : C’est-à-dire ?
M. B. : Il y a plusieurs protocoles selon que l’on soit sur un chrono d’un jour, une course par étapes d’une semaine ou de trois semaines. Samedi, Jicé a fait un réveil musculaire le matin et un échauffement avec des intensités plus courtes que d’habitude l’après-midi. Les organismes sont fatigués en fin de Tour, ça ne sert à rien de rajouter de la fatigue.
«Je ne pense pas que Jicé ait progressé, mais devant, ça roule moins vite»
V. V. : Quelle est la place de l’entraîneur que tu es dans le Tour, sachant qu’il y a aussi les directeurs sportifs qui sont au contact direct des coureurs. Jean-Christophe t’a appelé souvent ?
M. B. : On se parlait au téléphone tous les 3, 4 jours... et quand ça n’allait pas ! Lors de l’étape des pavés, il avait crevé au plus mauvais moment et perdu du temps. Je lui ai dit que le Tour était long, que tout se jouerait dans la troisième semaine et qu’on ne s’était pas préparé pour être à 100 % dès le début. On a discuté aussi après son coup de chaud à Chamrousse. Je pensais que ça serait encore dur pour lui le lendemain, mais il a été super bon dans la montée de Risoul. Dans les périodes de compétition, Je suis surtout là pour l’écouter et le rassurer. C’est assez rare que l’on discute tactique, même si je pense qu’en certaines occasions, mon oeil extérieur peut être utile.
V. V. : Franchement, 2e du Tour, est-ce que c’était imaginable ?
M. B. : Non ! On était parti pour un top 5 et encore... faire aussi bien qu’en 2011 (9e du Tour après le déclassement de Contador) aurait déjà été génial. Je n’ai pas encore pu étudier ses fichiers de puissance, mais je ne pense pas que Jicé ait progressé par rapport à ses dernières années. Devant, ça roule moins vite qu’avant et ça, c’est très encourageant pour l’avenir.
"On était parti pour un top 5 et encore... faire aussi bien qu’en 2011 (9e du Tour après le déclassement de Contador) aurait déjà été génial", dit Mickaël Bouget. Et pourtant non, ce n'est pas de la science fiction, c'est en dauphin de Vincenzo Nibali que JCP s'est présenté sur les Champs.
«Avec Jicé, ça a failli ne pas durer»
V. V. : L’époque a changé et n’est plus aux performances inhumaines, donc, c’est ça ?
M. B. : Oui. Nibali n’a fait que le 26e temps de l’histoire sur la montée d’Hautacam, loin du chrono de Riis (à 2’40 du temps du Danois, en 1996 en pleine époque EPO).
V. V. : Le constat vaut donc aussi pour Nibali, malgré sa domination ?
M. B. : Je ne sais pas, mais ses puissances développées semblent plus raisonnables qu’à une époque.
V. V. : Tu parlais des fichiers de puissance de Jean-Christophe, tu attends donc avec impatience de pouvoir les dépouiller ?
M. B. : Pour des raisons de poids, Jicé n’avait pas un capteur de puissance sur toutes les ascensions sur le Tour. En revanche, on a beaucoup travaillé en course avec le capteur de puissance ces derniers mois, notamment lors du Critérium International (que JCP a remporté). Cela nous a permis de changer certaines choses dans son entraînement. L’idée était de travailler les changements de rythme, d’être en mesure de pouvoir répondre aux attaques et éventuellement aussi de pouvoir attaquer soi-même. On a vu que ce travail a porté ses fruits sur le Tour.
V. V. : Tu as débuté la collaboration avec Jean-Christophe en 2006. Dans quelles conditions ?
M. B. : Avec Jicé, on s’est rencontré après les Championnats du Monde 2006. Moi, à l’époque, j’y étais avec les trialistes. Lui sortait d’une saison sans entraîneur, il s’était blessé peu avant ces Mondiaux. Il avait besoin de se relancer et d’une approche différente. Il s’est rapidement montré intéressé par mon travail sur la puissance. Je partais un peu dans le doute car je n’avais jamais entraîné d’athlète de ce niveau là. D’ailleurs, ça a failli ne pas durer...
"J'aurais du mal à qualifier notre relation. Je crois qu'il y a beaucoup de respect mutuel", dit Mickaël Bouget au sujet de ses liens avec JCP.
«Jicé est très exigeant avec lui-même et les personnes qui l'entourent»
V. V. : Tu peux nous raconter...
M. B. : Au bout de six mois, ça n’allait pas trop, on a tout remis à plat. Ce n’était pas simple pour lui de changer d’entraîneur à un an des JO (de Pékin). Et puis les résultats sont arrivés. En 2007, Jicé fait 3e des France, 7e des Mondiaux mais n’est pas loin de la médaille, il gagne le Roc... Une bonne dynamique s’était installée et puis les Jeux ont déclenché toute la suite. Une grande confiance réciproque.
V. V. : Huit ans de collaboration, ça rapproche : vos liens vont au-delà du rapport entraîneur-entraîné ?
M. B. : J’aurais du mal à qualifier notre relation. Je crois qu’il y a avant tout beaucoup de respect mutuel. On s’entend bien, même si on ne se voit pas souvent dans l’année. On profite de quelques rares moments pour rouler ensemble.
V. V. : On parle beaucoup de JC l’ingénieur, très pointu sur tout, c’est la réalité ou c’est une caricature ?
M. B. : Jean-Christophe est quelqu’un qui s’interroge beaucoup sur tout ce qui touche à l’entraînement et sur les paramètres qui peuvent le faire progresser. Je me rappelle par exemple qu’on avait fait toute une batterie de tests de roues sur le col d’Eze (à côté de Nice). On avait fait énormément de calculs. Il est très perfectionniste. Il est très exigeant avec lui-même et avec les personnes qui l’entourent.
"Jean-Christophe a d'énormes qualités de récupération, mais aussi cette capacité à aller chercher au plus profond de lui-même", explique Mickaël Bouget.
«Physiquement, par rapport au VTT, il y a eu des adaptations, mais pas une grosse progression»
V. V. : Quelles sont donc les clefs de cette performance sur le Tour ?
M. B. : Jicé a d’énormes qualités de récupération. Je dirais aussi sa capacité à aller chercher au plus profond de lui-même, de se mettre «minable». Cette 2e place, il va la chercher dans Hautacam, quand il est au bord de la rupture mais qu’il s’accroche jusqu’au bout. Il a aussi atteint une certaine forme de maturité après cinq saisons chez les pros.
V. V. : Il a dû tout apprendre des hommes, des codes et du fonctionnement du peloton professionnel, à 30 ans passés...
M. B. : Oui, quand il est arrivé dans le peloton pro (en 2010 chez Lotto), il chutait beaucoup, il devait apprendre à économiser ses efforts. Il fallait qu’il emmagasine de l’expérience techniquement, tactiquement. Aujourd’hui, il est devenu un professionnel confirmé. Physiquement, par rapport à la période VTT, il y a eu des adaptations, mais pas une grosse progression.
V. V. : Quelles sont ces adaptations, justement ?
M. B. : Jicé a perdu en capacité lactique (capacité à fournir un effort maximal sur une courte durée), ce qui était sa force en VTT. Mais il a parallèlement gagné en endurance. Il est également capable de répéter plusieurs fois des efforts de 30 à 45’ (sur les montées de cols).
V. V. : En quoi son passé de vététiste lui est bénéfique aujourd’hui ?
M. B. : Le VTT apporte énormément en force et force maximale. Et ça, il l’a toujours. En sortant du VTT, il était très fort en chrono (NDLR : JC avait été champion de France en 2009), il l’est un peu moins aujourd’hui. Le résultat du chrono de Bergerac est un peu trompeur car c’est un contre-la-montre après trois semaines de course, où la fraîcheur compte beaucoup.
On pourrait bien revoir JCP la saison prochaine sur un VTT en compétition...
«L’année prochaine, Jicé pourrait refaire des Coupes de France ou de Suisse»
V. V. : Il se pourrait justement que l’on revoie Jean-Christophe sur un VTT la saison prochaine... Info ?
M. B. : C’est toujours en projet. Nous en avons parlé ensemble. Mais cela doit être validé par l’équipe (AG2R) évidemment.
V. V. : Quel serait son programme ?
M. B. : L’idée n’est pas d’aller sur les Coupes du Monde, de toute façon, JC n’a plus les points UCI nécessaires pour le faire. Mais il pourrait venir rouler sur des Coupes de France ou de Suisse. Encore une fois, l’idée est de regagner sur certaines qualités physiques qui peuvent lui servir, sur le chrono par exemple.
V. V. : Jean-Christophe a resigné pour deux ans chez AG2R La Mondiale, il aura 39 ans en 2016. Est-ce qu’il peut encore progresser ?
M. B. : S’il se maintient, ce sera déjà pas mal non ? L’important est de se donner de nouveaux objectifs pour continuer à avancer. J’ai entendu que Jicé parlait du Giro. L’année prochaine, il pourrait le faire pour découvrir et la suivante pour performer : viser un top 5 et pourquoi pas mieux...
V. V. : S’il y a Giro en 2015, il n’y a automatiquement pas de Tour au programme ?
M. B. : Je ne suis pas pour l’enchaînement Giro - Tour la même année. Mais tout ça reste à discuter...