L'"Eroica" ou la cyclo oldschool italienne

L'Eroica est devenu la plus grande "course" de vélo d'époque au monde, la ville de Gaiole in Chianti en Toscane accueille cette épreuve depuis 15 ans. Cette année, 4000 participants ont fait le déplacement!
Publié le 16/10/2011 09:02 - - 2 commentaires

Me voici donc dans ce lieu mythique avec mon Wonder 1910. Un vélo de course d'époque fabriqué à St Etienne, en pignon fixe, un seul frein, une position de coureur à faire frémir les lombalgiques...

Rien que pour le spectacle et l'immersion parmi les passionnés de vélos anciens, je conseille de venir le samedi pour aller arpenter la brocante du samedi. 

     
Le sympathique Lorenzo du stand Vélorama est déjà là avec une multitude de pièces de collection dont un splendide vélo de 1910, un Pinarello chromé, etc... 


Le marché de la pièce ancienne est assez incroyable, imaginez une brocante de village uniquement dédiée à la pièce de vélo, c'est un incroyable trésor de dérailleurs Campa, pédalier Shimano, jantes en bois, mitaines en cuir, bidons en alu, boyaux et bien sûr vélos complets aux tarifs parfois démesurés pour un non-initié. Le spectacle d'un nouvel exposant installant ses produits est à ne pas manquer, aussitôt une nuée de passionnés saisissent la pièce dont il rêvait. Des étriers campa Delta (NOS comme New Old Stock, c'est-à-dire neuf d'époque) ou un lot de plateaux sont négociés dans la bonne humeur, tout le monde semblant heureux de refaire vivre ces composants d'une autre époque... Pour ma part, mon objectif était de dénicher un porte bidon à fixer sur mon guidon et un pignon plus adapté au relief local. Ce qui m'aurait pris des heures sur internet ne m'a pris que quelques minutes dans ce paradis du rétro! Mon vélo est prêt, 47X21, ça va être du sport demain avec les 3600m de dénivelé, mais j'adore les défis.


Un bon dîner local puis direction notre tente pour une nuit courte. Demain, lever aux aurores...


4h30 du matin, nous sommes réveillés par les premiers partants qui ont décidé de prendre le départ à 5h. Nous comprendrons après pourquoi...


Pour nous le départ, c'est 6h30, après un rapide petit dej, Clem (mon pote sur un Motobécane C5 de 1979) et moi prenons la direction du centre du village où notre carte sera pointée. Beaucoup de monde me souhaite bon courage et semble apprécier ma monture et mon accoutrement d'Octave Lapize. J'ai pensé à tout, j'ai même la montre gousset et des anciens Francs en poche...

6h33, il fait encore nuit, c'est parti! Il fait frais 9°C, mais on sait que cela ne durera pas... Nous sommes escortés par des Fausto Coppi et autre Gimondi bien imités, le relief est tranquille et c'est tant mieux pour un démarrage à froid.


Après une dizaine de kilomètres, première difficulté à Brolio. Devant nous une entrée de domaine et une longue montée sur notre première "Strade Bianche" bordée d'ifs et de lampions allumés. Magnifique, ce spectacle me fera oublier mon braquet démesuré... Heureux hasard, l'arrivée en haut de cette première ascension coïncide avec le lever du jour et sera l'occasion de découvrir le splendide paysage de Toscane que nous allons sillonner toute la journée. Wouah! Bellissima!

 
La première descente sur une "Strade Bianche" ne s'oublie pas surtout en pignon fixe, mais je suis davantage à l'abri des crevaisons avec mes 700B que tous les autres avec leurs boyaux de 700X23. Ça glisse, ça crève et ça lève de la poussière!

 

Un groupe d'une dizaine d'Italiens dispose de sa propre assistance, un scooter Vespa d'époque avec roues de secours et trousse à outils. Bien joué!

 
Après un passage près de la ville de Sienne, la route alterne sans cesse entre montées et descentes courtes, mais assez pentues, je passe parfois sur l'élan au prix d'une cadence de pédalage effrénée. Les gars qui me doublent dans les descentes bien calés en roue libre me congratulent et me souhaitent bon courage d'entreprendre ces 209km sur un si vieux vélo. Grazie mille! Ça motive.


Premier ravito ! Tamponnage de notre roadbook, encore 7 tampons ! 

 
Là aussi, L'Eroica est un autre monde! Exit les gels et autres barres énergétiques! Sous un vieux préau, on trouvera jambon de Parme, nougat local, fruits et tartine de miel et Nutella à foison. Et pour s'hydrater, eau et Chianti (pour les amateurs de crampes!). On aurait bien traîné plus parmi tous ces champions des 70's,  50's ou plus anciens encore comme moi, mais il reste tant de km...  


Les Strades Bianche s'enchaînent, certaines sont longues de 5 à 6 km voir plus, dans une descente, un malheureux incident nous rappelle que nos belles montures ont de l'âge et qu'elles sont fragiles. Un malchanceux a vu son pivot de fourche casser sur son course des années 70, son vélo est en deux parties, il gît à quelques mètres sous les soins d'autres participants. Cela fait réfléchir surtout quand on est au guidon d'un vélo centenaire et cela force à piloter en douceur, surtout sur ces routes non asphaltées où les véhicules ont créé des zones de vibrations très destructrices. Il faut sans cesse trouver la bonne trajectoire entre ces ridules, les zones plus sablonneuses où le rendement est faible et slalomer entre les cailloux... 

Soudain, Clem rencontre un problème sur son Motobécane, sa manivelle gauche se fait la belle.. Malgré la bonne volonté des Italiens qui nous doublent, personne n'a la bonne clef à pipe, la voiture d'assistance non plus, elle n'a qu'une clef Campa. Une seule solution... je n'en parlerais pas pour ne pas offusquer les puristes! Mais ça tiendra jusqu'à la fin!

 

Bifurcation entre le 135km et le 200km, une grosse impression de solitude quand on réalise que tout ceux qui roulaient à nos côtés prennent la direction du 135. Dans quoi nous engageons nous pour que si peu de monde fasse la grande boucle???


Quelques kilomètres plus loin, Clem crève. Son boyau est à plat, nous voilà partis pour une séance de décollage, recollage de boyau sous les sourires et les encouragements des tifosi. Cet arrêt permettra à Pedro, un ami Portugais de nous rattraper. Ce bike messenger de Lisbonne chevauche un vélo Diamant de 1930 à 3 vitesses, un vélo de musée qui prend la poussière autrement que dans les expos!

 

Boyau collé, c'est reparti à 3. 3 époques pour un même but, franchir la plus grosse difficulté du jour, Le Montalcino. 

 
Pour arriver au sommet du village, des pentes de 15% que je passe au courage en équilibre, mais aussi des pistes blanches interminables où je gouterais aux joies de la marche à pied... Cela peut paraître déshonorant, mais cela faisait partie du vélo à cette époque, cette alternance sur et à côté du vélo permet de contempler ces belles collines labourées et de respirer à pleins poumons l'odeur des ifs. 


Dernières montées, des concentrations de Fiat 500 et de vieilles Alfa nous croisent, la Toscane est décidément très rétro!

Déjà midi, il fait chaud, je n'ai qu'un bidon en alu. Boire est un cérémonial : enlever le bouchon de liège, déclipser le porte bidon, boire juste ce qu'il faut, reboucher et reclipser, le tout en faisant attention où l'on va. On oublie tout ça avec nos systèmes actuels...

 

Une très longue descente apparaît, si elle est salutaire pour la plupart des rétro riders en roue libre, elle est pour moi signe de risque et d'épuisement. En pignon fixe, je tourne sans cesse les jambes et ralentit la cadence en luttant contre cette inertie. Je m'aide de mon frein avant que je devrais plutôt qualifier de ralentisseur. Je me dis que ma peau ne tient pas à grand-chose... 


Soudain, ma chambre à air avant éclate, mes compagnons sont loin devant... Arrêt réparation, je comprendrais plus tard que la chambre à explosé sous l'effet de la chaleur, ces jantes en chapeau de gendarme chauffent vite sous l'effet d'un freinage trop appuyé. Je l'aurai constamment en tête le reste de l'épreuve... 


Une fois réparé, je retrouve Clem et Pedro à l'ombre d'un d'un arbre...

Viendra une très très longue section de piste avec un paysage grandiose, montées, descentes jusqu'à un nouveau pointage dans un village typique perché sur une colline. 


Malédiction! Pas de ravitaillement à ce point de contrôle, pas question de repartir sans refaire le plein, nous voila donc partis dans ce petit village faire la chasse à la canette et nous trouverons une sympathique mama italienne tenancière d'un restaurant sentant bon le fromage local qui remplira nos bidons. 


La suite sera très dure, cela fait bientôt 10h que nous sommes partis, il fait chaud, il y a du vent et l'alternance de montées assez raides et de descentes bien glissantes est usante. 2 gars sont arrêtés au milieu d'une Strade Bianche, l'un d'eux assis par terre la tête entre les jambes est exténué. J'aurai aimé lui dire "Ne lâche rien" en Italien...

 
L'heure tourne, ce sera limite d'être aux derniers checkpoints avant l'heure indiquée. Voilà pourquoi les premiers concurrents sont partis à 5h de Gaiole!

 

Un ravitaillement salvateur dans une belle propriété permet de me refaire la santé avec une sorte de ragoût mélangé avec de la mie de pain et des flageolets. Pourquoi pas! J'en profite pour changer mes patins de freins. A l'époque, ça s'usait vite!


Peu importe le timing, Pedro, Clem et moi continuons. La fin du parcours est raide, très raide, tout le monde marche, ce qui réduit considérablement notre moyenne, nouveau checkpoint, le soleil baisse assez vite et les pistes n'en finissent pas de monter et descendre comme un rollercoaster. Crevaison pour Pedro au sommet d'une colline, la lumière rasante sublime ce paysage, nous sommes une poignée encore en route vers Gaiole et le sentiment de revivre l'épopée des courses à l'ancienne est de plus en plus fort...

Avant dernier checkpoint in extremis, dernier arrêt ravitaillement, cela fait 12h qu'on roule, c'est clair, il reste 40km, nous allons finir de nuit... mais cela nous fait plutôt rire, si on a fait autant d'heures de route c'est pour vivre l'expérience Eroica à fond! 

 

Problème de chape de dérailleur pour Pedro, il a perdu une pièce, il se retrouve en singlespeed... La voiture balais bien garnie nous rattrape et s'arrête, mais nous refusons, pas question d'arrêter ici. Tout le monde nous souhaite bon courage avec le sourire, en espérant qu'on ne le regrettera pas...Ciao amico ! 

Il fait nuit, les panneaux indiquant Gaiole nous motivent, physiquement on est OK, je dois juste faire de petites pauses pour soulager mon fondement qui est fortement sollicité en pignon fixe, les pieds brulent dans ces maudits cale-pieds, le rythme est bon, mais le vélo de Pedro tombe en ruine, cette fois-ci son pédalier se fait la malle, il pédale presque sur une jambe pour le soulager, un petit resserrage à la lumière de la frontale permettra de rejoindre l'arrivée avec 2 autres cyclistes qui étaient derrière nous...


Oui l'arrivée ! Nous entrons dans Gaiole avec le sentiment qu'on arrivera dans l'anonymat le plus total. La petite place de Gaiole approche, il est 20h30 et la ligne d'arrivée est toujours là. Une poignée d'inconditionnels est là aussi, à nous applaudir, nous avons même le droit à une poignée de main de l'organisateur qui pose avec chacun des finishers pour une photo souvenir. Dernier tampon, j'apprendrai à ce moment que j'avais le plus vieux vélo du parcours de 200km à avoir osé et avoir terminé Les organisateurs ne cessent de répéter "Bravi, bravi!" Tout cela n'a pas de prix et nous fait prendre conscience de ce voyage dans le temps complètement incroyable... 

21h20, le dernier concurrent arrive à Gaiole...


Une bonne pasta party et une bonne douche plus tard, nous rejoignons sous les hourras la délégation Française (Vélorama, Rock and Rollin' Fixie Rider Club, les Toulonais et autres cyclistes du patrimoine Français) pour un dernier verre afin d'échanger sur nos journées respectives et admirer le feu d'artifice improvisé par Frédéric un doux dingue du "gaing".


Alors L'Eroica ? Assurément l'un des mes meilleurs souvenirs à vélo Une énorme envie de revenir très vite malgré ces difficultés sur un vélo actuel pour mesurer la différence et forcément une grosse volonté de relever à nouveau le défi au guidon de mon ancêtre en 2012 !

 

Texte et Photos : Alexandre Voisine / Cycling Pavé Classic



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  • 2 Commentaires


    avatar  Publié le 2011-10-16 14:29:07 par Flulle

    Ce reportage est fabuleux. La course a du l'être encore plus. Ça fait rêver même si je sais que j'aurais lâche l'affaire à la moindre difficulté technique à ta place. Édition 2012 avec une frontale d'époque :D ?
    avatar  Publié le 2011-10-18 21:59:51 par O.Girerd

    Excellent le reportage Alex. On s'y croirait, il faut un mental d'acier.
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