|
La Préparation
C’est dans un mix d’excitation, d’expectative et même une part de doute que je monte dans le train de Toulouse à Bordeaux, en direction de ce Bordeaux-Paris 2022.
Une fois arrivé à la gare de Bordeaux Saint-Jean, je rejoins le retrait des dossards sur le Quai des Salinières, en bord de Garonne. Un petit salon nous attend avec quelques stands dont ceux des partenaires. Je me dirige ensuite vers le retrait des dossards, m’installe dans la file d’attente. Certains sont en groupe, d’autres en binôme père/fils, certains sont particulièrement âgés. Le doyen a 84 ans, quel courage, mais surtout quelle expérience il doit avoir ! Admiratif, j’avance dans la file, regardant les vélos à droite et à gauche. J’y vois des belles machines et comprend que chaque participant a sa stratégie. Roues hautes ou basses, 2 bidons ou 4, sacoches ou rien, ça en dit long sur le niveau et les objectifs de chacun. Je retire le dossard 286, le roadbook, le tracker GPS, puis le maillot Chef de File Officiel : Bordeaux-Paris. Ma réflexion immédiate fut la suivante : si je porte ce maillot dès le début, alors je dois aller au bout, impossible autrement. J’ai immédiatement enfilé le maillot avant le passage au contrôle du matériel et une fois celui-ci réalisé, je passe sous l’arche de départ pour avoir une première photo dans cette ambiance agitée mais détendue, surplombée tout de même par l’appréhension du lendemain. Je rejoins ensuite Gaëtan, coureur au dossard 42, l’ami d’un ami que je ne connaissais pas jusqu’alors. Dans ces situations on a beaucoup de choses à se dire, même sans se connaître… Il termine sa première mousse, m’en propose une que je refuse, je préfère éviter. On discute près d’une heure, on débriefe, on échange sur l’entraînement, la préparation, le matériel, la manière dont on va appréhender la nuit, l’espoir de trouver des compagnons de route sympas, … L’heure tourne, je repars du « Singe vert », Gaëtan lui, hésite à prendre une seconde bière. L’aura-t-il prise ? J’arrive à l’hôtel 800m plus loin et monte à la chambre avec le vélo. Je me pose, prépare la photo avec tout le matériel me permettant de le checker au passage et de l’organiser dans les sacoches, je passe quelques appels et commande une Pokebowl incroyablement bonne. Il est l’heure de prendre des forces puis d’aller se coucher.
|
|
Du kilomètre 0 au 150 :
La nuit fut bonne, réveil à 6h20, douche, puis avant de prendre la direction du petit déjeuner, je mange une moitié de gâteau de l’effort, une valeur sûre déjà testée et approuvée sur l’Ironman par exemple. Je complète ensuite le petit déjeuner, sans forcer. Je remonte à la chambre pour finir de tout préparer et arrive vite l’heure du décollage. J’en profite pour remercier l’hôtel pour sa prestation qui m’a permis d’être dans les meilleures conditions puis je me mets en route pour rejoindre la ligne de départ. Les premiers starts sont donnés à 7h, le mien à 7h55. Je m’approche de la file d’attente et entends un grand gaillard, aperçu la veille, qui cherchait du monde, enfin des français pour pouvoir discuter, afin de prendre la route avec lui. Je sentais que ce grand costaud devait avoir un gros moteur, alors bon, j’accepte, comme 3 autres à côté dont Heyerick, Sébastien, un belge et un triathlète dont j’ai oublié les prénoms. Le belge a été accepté par notre luron car il parlait français ! Notre groupe de 6 est formé, nous partons à la conquête de Bordeaux-Paris.
Plusieurs du groupe ont déjà des soucis de compteur, de trace GPS qui ne s’actualise pas, ça promet… Le mien est opérationnel, je me mets devant. On quitte Bordeaux facilement puis on arrive sur des routes assez roulantes, notre grand gaillard prend les commandes et nous ouvre la route à 33km/h. Bien protégé dans sa roue je lui rappelle quand même que nous avons 650km à parcourir, mais il me répond qu’il aime le plat ! Alors je mets les mains en bas du guidon, et j’attends que ça passe, en lui criant « droite », « gauche », « tout droit » car son GPS ne fonctionne toujours pas. Les kilomètres défilent et on discute avec certains du groupe, dont Sébastien. On en profite pour se raconter d’où l’on vient, on parle de notre famille, tranquillement, même si notre locomotive tient toujours le rythme devant. On rattrape des groupes, on en double, les routes sont bonnes, les kilomètres défilent. Jusqu’au moment où un immense groupe nous rattrape, nous devions être au moins 50. Hors le règlement de la course est formel, les groupes sont autorisés mais à 6 maximum. Avec ce peloton, on dépasse largement la limite. Avec Sébastien, on commence à s’agacer et à proposer aux coureurs de se scinder en plusieurs groupes. Impossible de leur faire entendre. Alors on relance encore plus fort pour les décrocher, mais dans les roues il est facile pour eux d’y rester. On a cramé des watts pour rien. A un moment mon GPS m’indique de tourner à droite mais un panneau « route barrée » a refroidi plusieurs coureurs. Séb, Heyerick et moi suivons la trace à droite, les autres ont continué tout droit. On enchaîne quelques bosses qui tirent un peu, mais au moins on est plus tranquille. On continue comme ça jusqu’à Montbron, la première base vie au kilomètre 155, 5h20 de course avec seulement 1 stop pipi de 2min. Résultat : plus de 29km/h de moyenne sur ce premier tronçon.
|
|
Du kilomètre 150 au 350 :
Je fais un stop rapide, juste le temps de remplir les 3 bidons et je repars. Avec le recul je constate que c’est une erreur de repartir seul de cet endroit. Je rattrape assez rapidement un coureur avec qui je roule peut-être une heure. On discute et je constate qu’il est très bien équipé pour le long, avec notamment un moyeu à dynamo à l’avant. Je l’imagine habitué à ce type de périple. Effectivement, il a déjà fait Paris-Brest-Paris, soit 1200km… mais je suis en dessous de mon rythme, alors lorsqu’un groupe nous double, je prends les roues de deux anglais, habillés en Rapha de la tête aux pieds, avec des cuisses puissantes. Dans les bosses, ils montent assis, je m’accroche même si le rythme est un peu trop soutenu pour moi, d’autant que la chaleur commence vraiment à être pesante et le parcours très vallonné. Je tiens quelques montées avant de les laisser filer. Et là c’est le début de la grande traversée du « désert ». Peut-être 2 heures, peut-être 3 heures tout seul, à arpenter les vallons du Limousin sur un bitume sans rendement et sous une chaleur éreintante. J’appelle ma compagne qui suit mon avancée sur le live de la course pour m’assurer d’être bien sur le parcours car personne devant ni derrière depuis des kilomètres… Les crampes commencent à se profiler, les quadriceps se tendent tout seuls… J’arrive à un croisement et aperçois le grand gaillard du départ arrêté à un cimetière, le parfait moment pour faire une pause, remplir les bidons et prendre le temps de manger. On repart ensemble avec 2 autres coureurs, on dépasse le kilomètre 280, mais j’ai du mal à suivre. Je me retrouve seul à nouveau, mais 2 autres coureurs vont me reprendre. Des purs routiers, seulement 2 petits bidons chacun, pas de sacoche, rien. Je tiens les roues, je les aide sur le plat mais dans les bosses ça devient dur. Juste après la traversée d’Argenton-sur-Creuse, un troisième coureur de chez Dilecta, super sympa, nous rejoint et me permet de tenir le groupe quelques kilomètres de plus grâce à une petite poussette dans une bosse, encore merci à lui ! Puis la base de vie de la mi-course approche, on aperçoit le panneau Châteauroux 12km, génial car il fait encore bien jour et je suis dans mes estimations, entre 20h et 21h, malgré les souffrances des 100 derniers kilomètres. A Châteauroux j’ai le bonheur de voir une pancarte « KTheDoor », merci à Daniel, Cécile et Louna d’avoir fait le déplacement pour m’encourager, l’émotion monte vite...! Après ce petit moment extrêmement salvateur, je file au ravitaillement et je croise de nouveau Sébastien, excellent ! On en profite pour se doucher, manger des pâtes, du taboulet, boire un thé chaud, on se raconte nos 200km entre les 2 bases de vie et on imagine la suite. On appréhende la nuit.
|
|
Du kilomètre 350 au 450 :
Après une pause de plus d’une heure, on repart, sans imaginer dormir une seule seconde. On sait que la prochaine base de vie est dans 100 kilomètres environ. Il est à peu près 22h, on installe les lampes, un certain Franck vient avec nous et c’est à trois que l’on entame cette nuit de roulage. On démarre tranquillement, 25km/h, le temps de se remettre en jambes. On prend des relais réguliers, sans appuyer trop, on se préserve. Jusqu’au moment ou un « TGV jaune réfléchissant » nous double, Séb saute dans la roue, Franck aussi, j’en fais de même. Je préviens mes acolytes, « si on roule à cette vitesse pendant 90 bornes (jusqu’à la prochaine base de vie au km 450), je vais faire pop-corn ». Chose à quoi ils me répondent, « si si tu vas tenir, accroche toi !». Bon ok, je m’accroche alors. Au début, impossible de prendre un relais, ce sont des coursiers qui savent rouler, le rythme est intense mais régulier, finalement petit à petit je me rends compte que je tiens, on roule à 30km/h. La nuit et la fatigue laissent penser qu’on est à beaucoup plus, les sens sont totalement perturbés. On commence à pouvoir les relayer, les sensations des courses en cadets/juniors que j’ai pu connaître reviennent. On adapte le sens des relais en fonction du vent, c’est grisant ! Je me sens fort, les watts sont là, je fixe la cassette du coureur devant moi, je connais chaque détail de la peinture de l’arrière de son Tarmac. Dès qu’il monte une dent, je monte une dent, quand il en descend une, j’en descends une aussi, machinalement. J’attends que ça passe. Je me dis que même si je le paye plus tard, j’aurais parcouru de nombreux kilomètres avec eux et la nuit sera passée plus vite. Ce qui est fait n’est plus à faire. Franck commence littéralement à s’endormir sur le vélo. Il réclame des encouragements alors on le motive, on l’aide à tenir éveillé et à tenir le rythme. On s’approche de la ville de Mer, la route est bonne jusqu’à ce que le parcours nous fasse bifurquer à droite, comme l'indique le Garmin « Route sans revêtement », autrement dit un chemin. Je croise les doigts pour que le montage tubeless de mes Hutchinson Fusion 5 tienne le coup... Après 3 km de gravel finalement sans incident en plein milieu de la nuit, mais sur un chemin dégommé par les tracteurs et les tuyaux d’arrosage de champs, on rejoint la base de vie numéro 3 au kilomètre 460, il est 2h30 du matin. On en profite pour se ravitailler, je prends un thé histoire de me réchauffer un peu, puis une banane et un morceau de gâteau de l’effort que je partage avec Séb. On se sent fatigué mais dormir n’est pas envisagé, nous sommes prêts à repartir pour le dernier tronçon. Plus que 200 kilomètres… J’ajoute ma veste manches longues car j’ai une sensation de froid plus grande, la température a dû descendre encore et la fatigue doit y contribuer aussi. On allait repartir avec Franck et Seb, mais celui-ci nous interpelle et nous dit que l’on peut attendre deux autres coureurs, un père et son fils. Parfait, à 5 ce sera plus facile de rouler et puis les relais reviendront moins souvent.
|
|
Du kilomètre 450 au 660 :
Nous repartons de Mer tous les 5, vers 3 heures du matin, pour attaquer le fameux dernier tronçon présenté comme très plat pendant 150 kilomètres. Il ne restera « plus que », les 7 bosses répertoriées de la Vallée de Chevreuse, dont un mur que beaucoup redoutent de passer à pieds à cause de la pente, pour enfin voir se dresser devant nous la ligne d’arrivée. Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous nous entendons bien, prenons les relais, discutons un peu, mais pas trop. Ensemble on profite de la nuit, de son silence, de cette inconnue que je commence à apprécier vraiment. Les kilomètres défilent bien, on roule à un rythme correct aux alentours de 27 km/h. Le père commence à être en défaillance, alors il se « repose » en queue de groupe, puis c’est Franck, chacun son tour. Les plaines sont interminables. Le vent de face commence à devenir épuisant. Les dessous de pieds brûlent, la nuque tire tellement. Chacun se replace le cuissard pour essayer de soulager les douleurs. Les heures de selle se font ressentir. Le jour commence à se lever, il doit être un peu plus de 5 heures. Les lueurs du matin nous donnent des couleurs magnifiques dans le ciel avec les champs et quelques arbres au premier plan. A ce moment-là je me dis que le plus dur est fait, il fait de nouveau jour, il ne reste plus que quelques dizaines de kilomètres pour arriver. Mais c’est justement l’inverse qui se produit., Pensant retrouver du jus en voyant les premiers rayons du soleil, mes jambes réclament une pause aux alentours du km 570. Alors je demande au groupe de m’arrêter pour une pause technique, la seule de la nuit ! On s’arrête, j’en profite pour sortir la veste, je m’allonge sur le trottoir, pas bien du tout. Je me réhydrate et mange pour tenter de reprendre des forces. 10 minutes plus tard me voilà reparti, sans trop d’énergie, mais je me dis que le corps va revenir en forme une fois qu’il aura assimilé la fin du gâteau ingurgité et les gels 226ers. Effectivement, une heure après, à l’entrée de la Vallée de Chevreuse, je me sentais beaucoup mieux et pouvais aider le groupe dans les premières bosses. C’est au tour de Séb d’être dans le dur, on s’encourage, on sait qu’on ira au bout et qu’il ne reste plus qu’une cinquantaine de kilomètres. Les montées sont sinueuses, dures mais belles, alors on s’accroche et on profite de ces jolies routes forestières, ultra fréquentées par les cyclistes locaux. L’un d’entre eux comprend que l’on roule en groupe et nous demande d’où l’on vient. Il ne s’attendait pas à ce qu’on lui réponde « il y a 24 heures nous étions à Bordeaux ». Impressionné, il nous a félicité et en quelques mètres nous a distancé. La fraîcheur nous manquait pour le suivre ! Le fameux raidard tant attendu, ou tant redouté se dresse devant nous, près de 400m à plus de 12% de moyenne, sympa à ce moment de la course… Finalement c’est tous les 5 sur le vélo que nous montons, il nous reste encore suffisamment de watts, ça fait plaisir. On redescend ensuite sur Versailles, on profite quelques instants du château sur notre gauche et comme des rois on attaque la dernière ascension vers Sèvre. Une fois en bas, notre groupe rejoint enfin les bords de Seine, incroyable moment d’émotions. Même si la circulation est dense et pas évidente, nous abordons les 4 derniers kilomètres de cette aventure. On profite, on parle peu, chacun intériorise sa joie, jusqu’à se rapprocher du stade de la Cité des Sports d’Issy-les-Moulineaux. Comme les pro de Paris-Roubaix, on entre sur le stade. Ce n’est pas un vélodrome mais un tartan d’athlétisme. Peu importe, nous réalisons notre tour, fier de nous, fier de notre entente, de nos efforts, nous y sommes arrivés ensemble. On en profite pour immortaliser le moment, photo individuelle devant la bâche Finisher, puis la fameuse photo de groupe. C’est bon de partager ces moments !
La douche bien méritée d’arrivée fait du bien, avant de profiter des pizzas et de la petite glace en dessert. On y avait droit, la montre nous affiche plus de 20 000 calories brûlées… La fatigue aidant, toutes les émotions refont surface et les larmes montent, le corps humain est incroyable de ressources, à condition de l’écouter. Avec Séb, nous avons franchi la ligne de départ et la ligne d’arrivée ensemble. Une très belle aventure partagée de près de 27 heures et 660km, classé 71ème sur les 580 coureurs de cette édition 2022 de Bordeaux Paris.
Relire la news sur la préparation : www.veloderoute.com/news/17262/bordeaux-paris-2022-la-preparation
News sur le matériel utilisé : à venir